TPBM : Comment se déroule la reprise de l'activité juridique dans les Alpes-de-Haute-Provence ?
Pierre-Philippe Coljé : Nous avons la chance de vivre un retour assez rapide à une activité quasi-normale. Les chefs de juridiction Jean-Paul Risterucci, président du tribunal judiciaire et Rémy Avon, procureur de la République, ont anticipé la date du 11 mai pour préparer le déconfinement et organiser la levée du plan de continuation de l'activité activé dès le 17 mars. Il faut reconnaître que les magistrats du département n'ont pas ménagé leurs efforts pour, pendant le confinement comme après, assuré la continuité du service public. Les greffiers et fonctionnaires de la justice ont également été à la hauteur. Le barreau des Alpes-de-Haute-Provence leur en est très reconnaissant. Dans d'autres régions, nos pairs ont connu des situations beaucoup plus problématiques avec des juridictions totalement congelées. Nous avons réussi à échapper à cela, fort heureusement. Le dialogue permanent entre le barreau et les juridictions a vraiment permis de continuer à travailler dans l'intérêt des justiciables.
Il y a un bémol néanmoins. Du côté du barreau, nous disposons de tous les instruments informatiques et bureautiques pour télétravailler. Ce n'est pas totalement le cas du côté de l'institution car les magistrats et greffiers ne sont pas dotés d'ordinateurs portables par le ministère et les logiciels professionnels ne sont pas accessibles en mode cloud. C'est vraiment dommage. Il est absolument nécessaire que la Chancellerie tire des enseignements de cela et améliore sa logistique. Les gouvernements successifs ne peuvent pas nous parler sans cesse de la justice du troisième millénaire et, en même temps, faire travailler leurs agents avec des outils dépassés.
Quelle est aujourd'hui la situation des avocats ? Rencontrent-ils des difficultés particulières ?
Le moral des avocats est en nette amélioration. Retourner au tribunal et recommencer à plaider fait du bien à tout le monde. Pendant le confinement, nous étions un peu comme des lions en cage. Le quotidien normal d'un avocat c'est le stress, le mouvement, les échanges, le téléphone, les rencontres, l'écoute... Or, il régnait dans les cabinets un silence de mort. C'était très angoissant. Passer du mouvement à l'immobilité d'un seul coup, c'est ce qui a été le plus difficile à gérer, du moins en ce qui me concerne.
Aujourd'hui, il n'y a pas de cabinet en situation critique. Il y a des problèmes de trésorerie et des difficultés de gestion mais je pense que chacun a su prendre les bonnes décisions au bon moment. Certains ont eu recours au prêt garanti par l'Etat, d'autres non. Je n'ai pas encouragé les confrères à utiliser ce dispositif qui n'est pas vertueux à mon sens. Lorsque viendra le moment de rembourser, j'ai peur que certains se disent que finalement la mariée était trop belle...
Comment les accompagnez-vous ?
L'accompagnement que j'effectue est très personnalisé. Nous sommes un petit barreau. Je connais les caractères de chacun et je vois les signes de baisse de moral. Le Conseil de l'ordre est également attentif à cela et, au-delà de notre barreau, il y a effectivement une dynamique régionale. Elle s'exprime au travers de la Conférence des bâtonniers du Grand Sud-Est et de la Corse, présidée par Pascale Girma de Carpentras. Les bâtonniers de tous les barreaux de cette conférence dialoguent en permanence et se coordonnent très bien. Nous avons notamment pu acquérir des masques pour équiper tous les avocats de la région puisque l'Etat a été défaillant en la matière.
Quelle est votre position par rapport aux mesures prises par le gouvernement en faveur des avocats ?
Les mesures ont été plus qu'insuffisantes et la modification des règles de procédure et de droit pendant l'état d'urgence relève de l'abomination. Je suis très en colère sur ces sujets. Les réformes engagées, notamment celle des retraites, visent clairement à abattre les cabinets individuels. La crise sanitaire va permettre au gouvernement d'en voir disparaître beaucoup sur tout le territoire.
Quant aux ordonnances prises dans le cadre de l'état d'urgence, j'espère que les universitaires et chercheurs dans le domaine du droit et des sciences politiques feront la démonstration, pour l'Histoire et les générations futures, qu'il n'était pas légitime d'user de mesures totalitaires comme, par exemple, les renouvellements automatiques de détention provisoire.