TPBM : Quelles sont les missions de l'agence de l'eau ?
Gaëlle Berthaud : Comme ses cinq homologues, l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse (RMC) a une double mission : contribuer à réduire les pollutions de toutes origines et protéger les ressources en eau et les milieux aquatiques sur les 24 départements du bassin hydrographique rhodanien et corse. Pour agir, cet établissement public d'Etat perçoit le produit d'une redevance sur les prélèvements et les pollutions payée par tous les consommateurs : les industriels, les agriculteurs mais aussi les particuliers. C'est le principe vertueux du préleveur/pollueur/payeur. L'agence RMC a un effectif d'environ 380 personnes et un budget annuel de 450 millions d'euros. La délégation Paca que je dirige s'appuie quant à elle sur une cinquantaine de collaborateurs et un budget de 150 millions d'euros. Nous sommes là pour accompagner les collectivités dans la mise en œuvre de leurs programmes de modernisation des installations d'assainissement et des réseaux. Nous sommes également aux côtés des industriels et des agriculteurs pour les aider à réduire leur empreinte environnementale dans le domaine de l'eau.
Comment est investi le produit de la redevance ?
Les six agences ont pour feuille de route les « programmes d'intervention ». Dixième du genre, le programme actuel couvre la période 2013-2018. Ses orientations ainsi que le niveau de la redevance sont arrêtés par le comité de bassin, le « parlement de l'eau » qui regroupe l'Etat, les collectivités, les usagers du monde économique et agricole mais aussi la société civile via les associations. Le programme définit notamment les mesures et les actions qui sont mises en œuvre dans le Schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux.
TPBM : Quelles sont les spécificités de la région Paca ?
Comparée à la situation du bassin Rhône-Méditerranée, la région Paca est plutôt préservée : 68% des cours d'eau y sont en « bon » ou « très bon état », contre 55% sur le bassin RMC. De nombreuses rivières de l'arrière-pays échappent à la pression de l'urbanisation ou de l'agriculture intensive. Cette situation irrigue notre stratégie. Ici, les deux enjeux prioritaires sont la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations. Notre 10e programme comprend ainsi un important volet d'intervention pour la restauration des rivières, une problématique qui est étroitement liée à la montée du risque d'inondation dans un contexte de réchauffement climatique. La recrudescence des catastrophes qui frappent les régions méditerranéennes est là pour en attester : Vaison-la-Romaine, Draguignan, Cannes… Ces inondations à répétition mettent en exergue l'importance de la gestion des cours d'eau. C'est également un enjeu d'actualité car la loi Maptam* a confié aux EPCI [Etablissement public de coopération intercommunale, NDLR] une compétence nouvelle dans la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations. Il faut changer d'approche : plutôt que d'investir des millions dans la création de digues, il vaut mieux au contraire redonner de l'espace aux rivières afin qu'elles réinvestissent leur lit, ralentissant ainsi l'intensité des flux en cas d'épisodes cévenols. Nous subventionnons jusqu'à 50% des projets qui intègrent ces deux enjeux.
Il y a le trop, mais aussi le pas assez. Au-delà du risque de crue, l'impact du changement climatique pose également la question de la raréfaction de la ressource. Les climatologues anticipent une baisse des précipitions en Méditerranée, de - 20% à - 60% à l'horizon 2050-2080. On le constate déjà : la sécheresse est plus intense avec facteur aggravant, la montée en puissance de l'évapotranspiration qui augmente les besoins d'irrigation des sols. De même, l'enneigement moins important dans les Alpes menace non seulement l'économie des stations de ski, mais aussi le niveau d'eau des rivières et des barrages.
TPBM : Il faut donc changer de paradigme ?
G. B. : Nous devons apprendre à intégrer l'eau à nos politiques d'aménagement. Les urbanistes doivent être sensibilisés aux enjeux de la gestion de l'eau. On sait par exemple que l'imperméabilisation des sols cause des dégâts lors des fortes pluies. On l'a encore déploré récemment sur la Côte d'Azur. L'eau qui ne peut plus s'infiltrer dans la terre vient engorger les réseaux d'assainissement jusqu'à provoquer des débordements qui finissent par polluer les nappes et les rivières. On doit donc imaginer des systèmes plus vertueux qui permettent de préserver le milieu sans sacrifier la ressource. C'est l'objectif du programme « Osons désimperméabiliser les sols », qui vise la mise en place de systèmes d'infiltration à même de réalimenter les nappes et de conserver des espaces d'expansion des cours d'eau. Nous déployons par exemple une action pilote sur l'Argens : il s'agit d'aménager des zones d'expansion des crues quand c'est possible.
On doit également veiller à sécuriser la ressource. Les pertes dans les réseaux sont parfois considérables, jusqu'à 50% de l'eau distribuée part dans la nature. Pour remédier à ce gaspillage, nous finançons des opérations contribuant à un usage plus économe de l'eau. En 2014 et 2015, nous avons financé des programmes qui ont permis d'économiser plus de 10 millions de m3 d'eau, soit l'équivalent d'une ville de 100.000 habitants. En fixant un objectif de 85% de rendement d'ici 2020, le Grenelle est un aiguillon. La redevance augmentera pour ceux qui n'atteignent pas cet objectif. Les collectivités ont donc tout intérêt à agir pour moderniser leurs réseaux.
* Loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles
Retrouvez la suite de cette interview, ainsi que notre dossier sur la gestion de l'eau en Paca, dans le numéro 1137 de TPBM (parution le 6/07/2016). Cliquez ici pour plus de renseignements sur nos offres d'abonnements (à partir de 20€/an).