TPBM : A quoi ressemblent vos conditions d'exercice depuis le déconfinement ?
Me Priscillia Botrel : Nous pouvons plaider les dossiers en prenant les précautions d'usage, la distanciation, le port du masque dans les parties communes du tribunal qui a d'ailleurs réorganisé son calendrier afin que nous ayons accès aux salles les plus grandes. Les mois de mai et juin ont été riches en audiences, mais par rapport à d'autres juridictions où les affaires peuvent être renvoyées à 2021, nous n'accusons pas un retard phénoménal.
Y a-t-il des cabinets en situation financière critique ?
Avec le recours aux aides et aux prêts bancaires garantis par l'Etat, les cabinets ont de la trésorerie, mais il s'agit d'être vigilant et de prévoir un éventuel retour de bâton en fin d'année ou début d'année prochaine. C'est le message que j'ai délivré en assemblée générale. Pour l'heure, nous ne connaissons pas de situation critique. L'ordre a mis en place un fonds de secours au cas où, une fois que les confrères ont sollicité toutes les autres aides possibles. Dans certains barreaux, une cellule spéciale a été mise en place pour accompagner la reconversion professionnelle de certains avocats ; peut-être que ça arrivera ici aussi, mais, pour le moment, aucun confrère ne m'a fait part de sa volonté de quitter la robe.
Quelles leçons tirez-vous de cette expérience ? Allez-vous changer votre manière de travailler ?
La dématérialisation et le travail à distance reviennent sur la table depuis plusieurs années. Une chose est sûre, nous ne sommes pas encore à la justice du XXIe siècle ! Mettre en place la dématérialisation nécessite la présence de personnel derrière l'ordinateur pour traiter les demandes. Ce qui n'est pas le cas des greffiers par exemple qui travaillent sur des logiciels très sécurisés et n'y ont pas accès depuis chez eux. Peut-être faut-il développer des logiciels adéquats. Mais n'y aurait-il pas un risque de piratage à grande échelle ?
Quant aux avocats, ils ont découvert comme beaucoup la visioconférence, qu'ils n'utilisaient pas ou peu auparavant. C'est un bon mode d'échanges, mais rien ne remplace le contact humain. La visioconférence présente des limites quand nous sommes nombreux à intervenir et nécessite une bonne connexion, ce qui n'est pas forcément le cas au fin fond du Valgaudemar ou du Dévoluy.
Certains confrères redoutent surtout que cette crise permette aux magistrats de privilégier les dépôts de dossiers plutôt que les plaidoiries. Certes, certains dossiers ne nécessitent pas d'être plaidés, mais nous plaidons tout de même beaucoup au pénal, aux prud'hommes et aux affaires familiales. A Gap, nous n'avons pas ce problème mais dans certaines juridictions, ce n'est pas le cas. Le métier a radicalement changé - nous pouvons endosser le rôle d'agent de sportif, d'agent immobilier ou de médiateur entre autres - et l'art de la plaidoirie va peut-être se tarir.
Quels sont les chantiers qui vous attendent ?
J'attache beaucoup d'importance à la communication. L'enjeu est d'être visible car l'avocat se fait manger un pan de son activité par d'autres professions. Je pense à la rédaction d'un contrat de travail par un expert-comptable, aux notaires qui font de la publicité à la télévision alors que nous non. Il faut montrer nos compétences. Je veux continuer cette dynamique mise en place par mon prédécesseur Philippe Lecoyer. Nous sommes aujourd'hui présents sur différents supports, sur Facebook, nous avons noué des partenariats. Je veux développer les nouveaux métiers, l'immobilier, la médiation, que l'ordre soit présent aux côtés des entreprises à travers des interventions à l'UPE ou à la CCI. Bref, rendre le métier plus moderne. Un avocat n'est pas seulement là pour traiter les litiges, il peut les éviter en intervenant en amont, en qualité de conseil.
Evidemment, j'ai d'autres projets en tête mais deux ans de bâtonnat ce n'est pas gigantesque pour les mettre en œuvre, d'autant que le mien a été amputé de quasiment six mois entre les grèves contre la réforme des retraites et la crise sanitaire.