Au nord la voie ferrée, à l’est l’autoroute et un collège dont la reconstruction a mis des années à démarrer... et au milieu des poches d’habitat insalubre où survit une population qui subit de plein fouet les difficultés d’accès au logement locatif social : bienvenue au cœur d’Hoche-Versailles, îlot marseillais en déshérence enclavé dans l’un des quartiers les plus pauvres du vieux continent.
A deux pas de l’hôpital européen et du métro, au cœur de l’opération d’intérêt national Euroméditerranée, Hoche-Versailles concentre tous les maux disant la réalité de la fracture socio-économique creusée au cœur de la deuxième ville du pays. La dégradation du bâti; combinée à la misère socio-économique des habitants qui ont dégoté là un toit souvent aussi indigne que leurs propriétaires, fait de cet îlot l’un des quatre secteurs prioritaires du projet partenarial d’aménagement (PPA) Marseille Horizons, arsenal de lutte contre l’habitat insalubre dégainé par les pouvoirs publics au lendemain du drame de la rue d’Aubagne. Ce coup de loupe institutionnel inscrit dans le cadre plus large d’un projet du nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) du centre-ville de Marseille est aujourd’hui l’objet d’une concertation organisée sous l’égide de l’établissement public d’aménagement Euroméditerranée (EPAEM).
Recyclage foncier
En coulisses, les grandes manœuvres ont démarré. En 2017, l’entreprise sociale pour l’habitat (Esh) Logis Méditerranée (groupe 1001 Vies Habitat) a acquis un ensemble de 146 logements (pour un montant de 5 M€) auprès de Logirem pour y déployer une démarche pilote de recyclage foncier. Cette résidence baptisée Eugène Pottier (9 909 m2 de surface habitable) se situe en plein cœur de l’îlot Hoche-Caire, à deux minutes du métro Désirée Clary. « Elle a été construite en 1975 par l’architecte Mario Fabre, d’une architecture moderne pour l’époque, avec de nombreux appartements traversants », explique Sandrine Bordin, la présidente du directoire de Logis Méditerranée. La filiale de 1001 Vies Habitat a souhaité reprendre à son compte le droit au bail emphytéotique courant jusqu’en 2042 passé avec la ville de Marseille. La municipalité ayant validé ce projet, le transfert du bail devrait être effectif en 2023.

« Au lieu d’une opération d’acquisition-amélioration classique, nous avons préféré explorer des pistes de valorisation innovante en partenariat avec l’EPA Euroméditerranée en lançant un appel à manifestation d’intérêt (AMI) auprès de groupements de promoteurs-architectes, indique Sandrine Bordin. Huit équipes ont répondu au cahier des charges très large que nous avions défini. Cette démarche d’aménageur ensemblier en phase avec la nouvelle stratégie du groupe a permis de faire émerger un projet proposant un remodelage complet de la résidence intégrant un projet urbain plus global structuré autour de quatre lignes directrices : désenclaver-transformer-requalifier-ordonner. »
Déployée avec le soutien du Service valorisation immobilière (SVI) de 1001 Vies Habitat, cette démarche se développe à une échelle plus vaste que celle de la seule résidence : « On regarde ce qui se passe dans le quartier avec le collège Versailles et le programme de traitement des copropriétés dégradées, sans oublier de réfléchir à la valorisation du foncier qui jouxte la résidence », ajoute la dirigeante.
Marseille : Unicil au chevet de Maison Blanche et de l'îlot Hoche-Versailles
Au printemps 2021, le bailleur a posé le premier jalon de cette œuvre de régénération urbaine en prenant les clefs de l’Adamas, une résidence de 78 logements sociaux (PLUS-CD, PLAI, PLS) acquise en état futur d’achèvement auprès de Bouygues Immobilier. Cet ensemble niché en contrebas de l’autoroute, entre les rues Rifaud, Kleber et Hoche-Caire a permis de reloger une douzaine de familles résidentes de la copropriété Versailles (portée par l’Etablissement public foncier régional), une copropriété en souffrance regroupant huit immeubles pour 132 logements et inscrite dans l’arsenal national du plan « Initiative copropriétés ».
Démolition-reconstruction
Après la livraison de ce programme neuf, Logis Méditerranée s’attelle désormais à la restructuration de la résidence Eugène Pottier. « On a signé un bail à construction avec la ville sur une partie du foncier de la résidence. Le projet prévoit la démolition d’un des bâtiments (le bâtiment C de 8 logements, Ndlr), on a obtenu un permis pour réaliser un programme de 87 logements neufs (PLS) en proue de l’îlot. L’opération baptisée les Terrasses de la Villette comprendra également 146 places de parking et 670 m2 de locaux tertiaires en rez-de-chaussée », précise Sandrine Bordin. Cet ensemble conçu par l’agence marseillaise Oh!Som Architectes sortira de terre lorsque le bailleur aura bouclé le relogement des habitants du bâtiment voué à être rayé du paysage.
« Les consultations des entreprises sont en cours. On espère signer les ordres de service à la fin de l’année en vue d’un lancement des travaux au début 2023 et d’une livraison en 2025. »
Surélévation
Dans la foulée, Logis Méditerranée poursuivra le travail de restructuration de la résidence Eugène Pottier avec la démolition d’une cinquantaine de logements supplémentaires, ciblant les immeubles de quatre étages dépourvus d’ascenseur. Cette chirurgie lourde doit permettre le désenclavement du quartier par la création d’une nouvelle voie piétonne. L’offre résidentielle sera évidemment remplacée. « On surélèvera certains bâtiments de deux niveaux pour s’aligner sur la trame du quartier et on construira près de 6 000 m2 de plancher au centre de l’îlot », explique la dirigeante. Le reste de l’offre résidentielle (88 logements) sera intégralement réhabilité en veillant à réduire son empreinte carbone : « On visera l’obtention du label BBCA Rénovation et des niveaux de performance énergétiques ambitieux, avec une étiquette A pour les logements », indique Benjamin Deroch, responsable Grands projets chez Logis Méditerranée.
"Les réserves foncières d'Euroméditerranée nous laissent des marges pour agir"
Une ambition écolo qui passera par la mise en œuvre d’une série de dispositifs permettant d’améliorer la performance énergétique du bâti : isolation des façades par l’extérieur avec des matériaux biosourcés, isolation des toitures terrasses et des planchers bas, remplacement des équipements de chauffage, changement des menuiseries extérieures et du réseau de distribution chauffage... La cure de jouvence aura également recours à des procédés innovants comme Koclicko, un système d’individualisation des frais de chauffage mis au point par une start-up bordelaise. Enfin, le chantier de déconstruction sera l’occasion de déployer une démarche de réemploi des matériaux.

En attente du feu vert de l’Anru
Cette opération d’ensemble figure parmi les projets phares du dossier présenté en mars dernier devant le comité d’engagement de l’agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru). Un passage obligé pour bénéficier des financements du NPNRU. Des crédits indispensables pour équilibrer ce genre d’opération budgétivore dont le devis devrait dépasser les 50 M€. « On est sur un modèle économique particulier avec une vision à longue échéance, à trente ans », avance Sandrine Bordin. Le bailleur devra en outre intervenir en site occupé, une complexité pas franchement dans la culture de la promotion privée. Le projet impliquera ainsi un gros travail d’accompagnement social auprès des résidents âgés, pour 40 % d’entre eux, de plus de 65 ans. « Après les travaux, on continuera à gérer la résidence. C’est un gage de réussite dans la durée », conclut la dirigeante de Logis Méditerranée.