Au sortir d'une année brutalisée par la pandémie qui a mis à l'arrêt des pans entiers de l'économie (commerce, restauration, tourisme, culture, etc.), le marché immobilier tertiaire hésite entre résilience et mutation. « 2020 aura été une annus horribilis pour l'économie. Le PIB du pays a chuté de 9%. Près de 760 000 emplois ont été supprimés », souligne Magali Marton, la directrice des études de Cushman & Wakefield (C&W).
Cette récession d'une ampleur inédite depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale a évidemment eu un impact sur l'occupation des bureaux. Un peu partout, les parcs tertiaires ont subi un exode massif. « La crise a précipité les entreprises dans un test grandeur nature d'un nouveau rapport au travail », euphémise Magali Marton. Le télétravail est devenu la règle. « La crise a accéléré un processus déjà amorcé », analyse la directrice des études de C&W. Au point de modifier l'organisation du travail du « monde d'après », lorsque la vaccination aura produit ses effets ? « Selon une enquête réalisée cet automne auprès de 600 entreprises, un consensus semble se dégager en faveur de deux à trois jours de télétravail hebdomadaires », observe Magali Marton. Cette évolution sonnera-t-elle le glas des bureaux traditionnels ? Pas si sûr. Selon la technicienne de C&W, il faut se garder de jeter le bébé avec l'eau du bain :
« L'immobilier tertiaire va se repositionner. Les bureaux deviendront des lieux de destination où les collaborateurs de l'entreprise viendront pour échanger, réfléchir sur un projet, définir une stratégie... Autant de moments de partage propices à l'innovation et à la créativité ».
Dans ce glissement, « l'espace de travail deviendra le lieu où se forge l'esprit d'équipe, ferment de l'identité de l'entreprise », enchaîne Magali Marton.
Aix-Marseille en constraste
« Avec 137 000 m2 placés, Aix-Marseille a vu son activité se contracter de seulement 5% par rapport à 2019. Le marché tertiaire a fait preuve de résilience en 2020 », observe avec soulagement Eric Costamagno, directeur de l'agence Aix-Marseille de C&W. Mieux : sur cinq ans, le marché de bureaux de la deuxième ville du pays affiche une progression de 5%. Ce bilan satisfaisant cache tout de même de grandes disparités. « En 2020, le marché marseillais a reculé de 23% faute d'offres neuves quand le marché aixois a surperformé en progressant de 22% », relate le dirigeant. Autour d'Aix, plusieurs programmes neufs ont stimulé la demande : les derniers lots des Carrés de Lenfant (Groupe Figuière) et des Carrés du Golf (Cogedim) sur le pôle d'activités d'Aix et de l'Arteparc de Fuveau (Artea). « C'est le signe que les entreprises sont à la recherche de bâtiments dernière génération éco-responsables », affirme Eric Costamagno.
A Marseille, la principale transaction a été la prise à bail par Pernod-Ricard de 7 700 m2 dans les Docks. « Le groupe de spiritueux a souhaité regrouper ses équipes dans cet immeuble qui incarne le renouveau du centre ville sous la houlette d'Euroméditerranée », avance le dirigeant de C&W. Un mouvement qui illustre selon lui l'exigence d'une nouvelle qualité de vie au travail. « Les entreprises et leurs collaborateurs apprécient les lieux desservis par les transports collectifs, proches des aménités et qui offrent une grande flexibilité d'usage », ajoute-t-il. Une souplesse qui colle parfaitement au contexte actuel bardé d'incertitudes. « Faute de visibilité sur la sortie de crise, les dirigeants optent pour des solutions flexibles qui permettent d'attendre ».
Alors que le télétravail tend à se généraliser chez les cols blancs, le broker voit poindre l'essor d'une nouvelle offre de bureaux hors des locaux de l'entreprise : le télétravail dans des espaces de coworking.
« Le home-office n'est pas adapté à tous. Le coworking a un rôle à jouer dans cet interstice entre domicile et bureau. Cet entre-deux favorise l'émergence d'espaces de coworking hors des villes centres ».
Entre la maison et l'entreprise, des communes périphériques comme La Ciotat ont une carte à jouer. « Ces espaces tampons s'imposent comme des solutions intermédiaires pour des collaborateurs qui ne peuvent pas réintégrer leur bureau à temps plein mais qui pour autant ne souhaitent pas rester en base domicile », explique Eric Costamagno.
Nice relève la tête
Autour de Nice, le bilan est loin d'être cataclysmique. « Avec 30 000 m2 placés en 2020, chiffre en hausse de 12% sur un an, Nice a pour la première fois de l'histoire dépassé Sophia Antipolis », constate Antoine Pacchioni, directeur de l'agence azuréenne de C&W. Le développement d'un nouveau quartier central des affaires dans le secteur du Grand Arenas (315 000 m2 de bureaux à terme), au coeur de l'Ecovallée, tire un marché jusque-là cantonné aux basses eaux. Mais gare à la suroffre. « Avec une offre première main de plus de 50 000 m2, Nice offre une belle respiration au marché », nuance le broker.
Sur Sophia Antipolis, les voyants sont moins verdoyants. « Avec 29 000 m2 placés, le marché s'est replié de 21% en 2020 », commente Antoine Pacchioni. Si l'offre neuve s'est bien écoulée, l'ancien peine à trouver preneur. Un décalage qui pose la question de l'obsolescence de ce parc immobilier construit au mitan des années 1970/80. Et qui risque de se trouver aggravé par les turbulences qui ont cloué au sol Amadeus, le principal employeur du technopôle (4 200 emplois en 2019). Le groupe espagnol leader mondial de la réservation de voyages a taillé dans ses effectifs en supprimant plus d'un quart de ses emplois de son site sophipolitain.
Pour le doyen des technopôles français, le salut viendra par le neuf. Antoine Pacchioni en veut pour preuve l'achat en état futur d'achèvement par Unofi de trois des quatre écrins de Centrium, ensemble tertiaire de 12.600 mètres carrés développé par le groupe Courtin Real Estate. A dix-huit mois de sa livraison prévue mi-2022, ce programme déjà précommercialisé à 60% a séduit un investisseur. « Cette vente confirme l'attractivité de Sophia malgré la crise sanitaire », affirme le broker.
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