Des bâtiments en terre. Le procédé n’est pas nouveau. Il est même ancestral. 30 % de la population de la planète vit dans des habitations en torchis ou en pisée. Dans certains centres historiques comme à Rouen, le bâti est majoritairement constitué d’immeubles en terre. Depuis des décennies pourtant, l’industrie immobilière a adopté le béton. « En France, la construction en terre reste un marché de niche réservé à des gens fortunés », observe Nicolas Godet, directeur général de Point P, filiale distribution du groupe Saint-Gobain. Ce matériau universel a longtemps pâti de son inadéquation aux normes draconiennes qui encadrent la sphère de la construction. Une carence qui l’excluait du système assurantiel. Et empêchait toute démocratisation.
Euroméditerranée terre d’expérimentation
Le vent, comme la terre..., est en train de tourner. En 2019, Saint-Gobain France a décidé de tester un projet sortant des sentiers (en terre) battue. Cette opération pilote déployée en partenariat avec l’établissement public d’aménagement Euroméditerranée (Epaem) a pour ambition de valoriser la construction à partir de terre d’excavation. La démarche baptisée « Construire en terre » a permis de mettre au point le process autorisant le passage en mode industriel. Pour que ce béton de terre soit admis dans le panel des matériaux usuels comme le béton, l’acier, le bois... il fallait trouver le liant permettant de garantir une utilisation robuste et efficace des terres d’excavation. « Ce liant bas carbone, composé très majoritairement de matières recyclées comme le laitier des sidérurgies, confère une régularité de mise en œuvre à des terres d’excavation aux caractéristiques multiples. Le liant permet d’accrocher la terre au béton », explique Michel Daniel, directeur aménagement et ville durable chez Saint-Gobain distribution France. « Point P assure la fabrication du mélange terre-liant, sur la base de cinq éléments fondamentaux dont le dosage est lié aux applications : terre, liant bas carbone, végétal, eau et selon les besoins des solutions proposées granulats recyclés », ajoute Nicolas Godet. La formule sera bientôt parée d’un avis technique expérimental (ATEx) du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) qui ouvre la voie à une diffusion du process de construction en terre crue à une échelle industrielle.
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Remplissage par projection de terre
Deux solutions sont en cours de développement. La première est le remplissage par l’intérieur des maisons ossature bois par projection de terre. « Par son excellente inertie thermique, la terre offre un confort d’été permettant à la construction bois de parfaitement répondre à l’exigence de la réglementation RE 2020. Combinée à une ITE “classique”, l’isolation est ainsi performante toute l’année », s’enthousiasme Michel Daniel.
Des chantiers test ont été réalisés, notamment à Brétignolles-sur-Mer en Vendée et ont permis de valider la performance sur chantier de la solution. Une équipe d’artisans projeteurs, formée de quatre personnes, projette 100 m2 en deux jours. Le mélange projeté permet au prochain corps de métier d’intervenir après une quinzaine de jours, ce qui correspond aux délais et procédés habituels.
Cette solution est en cours de certification au CSTB avec un objectif d’obtention d’ATEx en mars 2023. Au second trimestre 2023, elle sera commercialisée dans les agences Point P.
Banché dans une ossature bois
La seconde solution est la préfabrication d’une banche en terre crue dans une ossature bois ou béton. « Il s’agit d’une terre stabilisée coulée dans les ossatures bois qui deviennent un coffrage perdu, participant toutefois à la résistance de l’ouvrage. Cette conception agile fait collaborer les matériaux entre eux. Facile à mettre en œuvre dans des banches manu-portables cette solution reçoit une ITE (isolation thermique par l’extérieur) et garde une épaisseur de mur standard... Le confort d’été et l’isolation phonique en plus », décrypte Michel Daniel. Cette solution présente de nombreux avantages : « elle est simple, assurable et immédiatement reproductible pour un habitat RE 2020 classe A en énergie », déroule Nicolas Godet.
Autre atout : la préfabrication hors site. « Les cadres en bois servant à la construction des bâtiments sont remplis par le mélange de liants et de terre directement à la sortie de la centrale à béton avant d’être acheminés sur le chantier », renchérit Michel Daniel. À la clef : un gain de temps et une plus grande facilité de mise en œuvre. Last but not least : le procédé ne revient pas plus cher qu’une construction traditionnelle en béton de ciment. « Les coûts sont similaires », affirme Nicolas Godet.
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Un démonstrateur près de la Porte d’Aix
Deux chantiers de construction de maisons individuelles en terre crue sont en cours à Opio et La Colle-sur-Loup, dans les Alpes-Maritimes. Ces premières opérations tests préfigurent les murs de terre banchés que Saint-Gobain compte mettre en œuvre sur le périmètre d’Euroméditerranée.
Ce démonstrateur du programme « Construire en terre » est développé en partenariat avec Redman et l’EPAEM. Il prévoit la construction d’un campus étudiant pour le groupe OMNES Éducation à un jet de pierre de la Porte d’Aix. Le projet porte sur la réalisation à l’horizon 2025 d’un écrin de 6 700 m2, en R+4 / R+5 conforme à la RE 2020, à l’angle de l’avenue Pelletan et du boulevard du Général Leclerc, près de l’hôtel Toyoko Inn (2e). « L’immeuble comprendra l’utilisation d’un mix béton / terre avec façade ossature bois », avance Nicolas Godet. Il regroupera cinq écoles d’enseignement supérieur dans différents domaines : management, ingénierie, sciences politiques et relations internationales, communication et publicité (ECE, INSEEC, HEIP-CEDS, Sup de Création, Sup de Pub).